Se questionner permet d’être davantage conscient des enjeux et aussi de mieux maîtriser les raisons pour lesquelles on choisit une action. En l’occurrence nous parlons ici de la création d’un site Internet.
On le sait, généralement l’argument avancé et souvent imparable à propos du numérique c’est : « c’est tellement pratique ! » ou encore : « on peut toucher, rencontrer plein de gens ! » ; parfois aussi : « c’est gratuit ! ».
Même si beaucoup pourront adhérer à ces phrases, pourtant de plus en plus de gens souffrent de devoir passer un temps qu’on voudrait de plus en plus long sur Internet, et pour d’autres de voir leur vie privée, leurs données « dématérialisées », et susceptibles de disparaître dans le monde insondable du « cloud », d’être piratées, volées, censurées… Et qu’en est-il de la pollution électrique ?
Nous dirons que le simple réalisme demande d’oser voir cela.
Quelles issues peut-on se donner ? Voici, en proposition, quelques éléments issus de notre propre réflexion.
1) Numérique-Internet – Une invasion ?
Internet est apparu lors de la seconde guerre mondiale pour l’usage des militaires.
Avec Edward Snowden né en 1983, et bienfaiteur envers nous lorsqu’il a remis sa vie en question pour révéler les débordements du numérique (« Mémoires vives »), on apprend que le principe d’Internet a été diffusé ensuite dans les années 70 et surtout 80-90 à quelques-uns dont son père, puis au grand public, avec des jeux déjà addictifs.
Pourquoi une telle extension d’un procédé militaire au grand public ? Pourquoi se baser sur l’addiction ? Les réponses ne sont pas vraiment connues, et peu de gens se posent cette question.
Au début, Internet était plutôt porté par des défenseurs de l’utilisation « Libre » c’est-à-dire gratuite.
À partir des années 2000 voire un peu avant, des spécialistes de la Silicon Valley se sont approprié cet outil, en en faisant un marché, et en y voyant l’opportunité de sources colossales de profit hors légalité, mais inattaquables du fait de la naïveté et de l’ignorance des utilisateurs aussi bien que des États. Parmi eux, Mark Zuckerberg, né en 1984, qui a commencé en créant un marché des visages à partir des albums photos des universités (« Facebook » ou « trombinoscope » – voir Roger Mc Namee « Facebook, la catastrophe annoncée »).
Aujourd’hui, il a l’une des plus grandes fortunes au monde et peut se permettre de censurer des vidéos sur youtube, des sites…
Le principe économique est d’obliger les usagers à passer par une machine intermédiaire, à la fois service payant et moyen de contrôle et de monopole. Nous savons qu’il faudrait presque devenir tous des informaticiens pour répondre à cette orientation qui est présentée comme inéluctable par des intérêts commerciaux.
Il est intéressant de voir l’évolution radicalement différente de ces deux passionnés d’informatique et numérique nés à moins d’un an d’intervalle, évolution symbolique de deux aspects de notre société. Pourquoi ? Notamment pour savoir qu’on a le choix. Et ce qui détermine ce choix : l’état d’esprit face à l’humain.
2) L’artiste face à cela ?
L’artiste peut-il jouer son rôle de précurseur pour apporter une vision plus claire de ce monde virtuel de plus en plus présent ?
Nous savons qu’il y a des artistes utilisant en partie ou beaucoup le numérique, en particulier dans le domaine des Arts de l’espace (dessin, architecture, …).
Pour ce qui est des Arts du Temps, ou du spectacle vivant (musique, danse…), dans lesquels le corps est essentiel, de même que la relation ainsi que la rencontre entre les artistes, puis entre les artistes et le public, on ne peut pas vouloir une intrusion quasi exclusive du numérique, comme actuellement. Ou alors ceux qui le veulent cherchent à orienter le public en changeant de domaine pour rentrer dans l’aspect industriel de l’entertainment c’est-à-dire divertissement, ce qui n’a plus rien à voir.
Passé le temps de la sidération puis celui de la perte de repères, le temps de la création peut commencer à se réveiller pour trouver de nouvelles ressources intérieures et initiatives qui amènent à, non pas s’adapter, mais apporter un nouvel état d’esprit, un nouveau mode de vie.
Ces initiatives sont a priori le plus souvent locales en ce moment, individuelles ou dues à de petits groupes.
« L’artiste du temps » peut, parce qu’il/elle est poussé/e à se questionner pour se donner un futur, être à l’initiative d’un questionnement nécessaire, et utile à tous à propos du numérique.
Par exemple, quand on pense à l’enjeu relationnel et social – mais pas seulement – on peut se demander ce que cet outil permet, et ce qu’il met en danger dans le développement humain (le temps passé, la dépendance, l’étonnement qu’on trouve normal que ce ne soit pas tellement au point, qu’on soit indulgent face aux bugs et autres problèmes chronophages à résoudre, donc souvent douloureux ; que dirait-on si un frigo faisait de même?) ; ou encore le risque de croire qu’il faut passer par un intermédiaire artificiel non humain pour communiquer entre êtres humains, une machine artificielle qui fonctionne différemment de l’esprit humain et le réduit parfois (oui-non) ; la froideur d’une communication partielle (qui peut susciter des malentendus), le risque de croire qu’il peut donner plus de sécurité dans la relation (pas de contact direct) ; les risques dus aux contacts prolongés avec l’électricité artificielle et l’électromagnétisme ; et l’extension de ses outils non maîtrisées telles que satellites, antennes.
3) Une autre utilisation du numérique où l’humain, la vie restent essentiels et respectés
Utiliser, créer un support numérique pour pouvoir s’exprimer, partager ses idées, et se faire connaître d’une façon éthique est-il possible ?
Bien sûr, nous retrouvons la quête de qualité : il y a à la base un état d’esprit humaniste – qui par conséquent reconnaît et privilégie la valeur de l’humain -, quelques connaissances, et le courage de sortir du connu.
On dit habituellement qu’Internet ne devrait servir qu’à faire circuler des infos seulement (à cause d’une communication incomplète, et de la surveillance, reconnue par tous les informaticiens : rien ne peut être véritablement protégé a priori).
Si on veut donner davantage que des infos notamment dans le domaine de l’art, il est sage de prendre certaines précautions, par exemple se demander : Quelles sont les utilisations possibles de ce qu’on y met, c’est-à-dire nos « données » ou « data » ? Que vont devenir mes données ?
Des ouvrages, organismes conseillent* : si un site est gratuit, il y a de fortes chances que celui qui a mis en place le moule veuille se payer d’une part par la pub, d’autre part en s’octroyant la propriété de nos données (ou data) et la possibilité de fermer le site sans prévenir. Il est donc souhaitable de trouver au moins le moyen d’avoir la propriété de nos données (WordPress par exemple) avec un hébergement au moins un peu payant (infomaniak ou d’autres) pour rétablir l’équilibre entre argent et gratuité : l’échange, et une meilleure garantie de service. On peut également passer par Mozilla plutôt que G. et par Linux et assimilés plutôt que Windows (des associations Linux existent partout en France et apportent leur aide).
En dépassant le côté non voulu d’utiliser Internet, et en se donnant des choix éthiques et joyeusement engageants, on peut davantage en faire un outil positif. On peut aussi en faire un outil non exclusif si on garde les moyens pour continuer à agir par de vraies rencontres en face à face.
Voilà ce qui a guidé nos choix.
* Déclic de Maxime Guedj/Anne-Sophie Jacques, éd. Les Arènes
Pour un web plus éthique Héloïse Pierre, Amélie Delalain, Livre numérique disponible sur Etikya et sur Esprit Créateur
La Quadrature du Net
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Merci à Etikya alias Héloïse Pierre pour la création du « corps » de ce site.